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La
saga Levesque :
une famille, une histoire, "une folie" Tiré de Bretagne Magazine n°24 - 1er trimestre 2004 Texte Hervé Jégouzo, photos Bernard Galeron |
L'Erdre
n'est pas loin de son confluent avec la Loire. A quelques centaines de mètres en aval, son cours est balafré par la rocade nord de la capitale régionale, dont la sourde rumeur remonte au ras de l'eau. Mais à la Poterie, la rive droite de la rivière canalisée est encore une oasis de calme. Des poules d'eau, remontées de l'Erdre, picorent une étendue d'herbe grasse que broutent quelques chevaux de selle. Une grande demeure domine le parc qui descend jusqu'aux berges. Avec son fronton néoclassique et ses deux ailes apparemment décalées vers l'arrière mais en réalité reliées par un logis principal, la "folie", (nom donné aux châteaux dont la bourgeoisie nantaise a parsemé les alentours du port ligérien) a fière allure. Aujourd'hui encore, elle porte la mémoire des Levesque, l'une des familles les plus connues et les plus fameuses parmi celles qui doivent leurs succès et leur pouvoir au grand commerce et à l'in-dustrie. Une famille qui a laissé son empreinte économique et politique dans l'histoire de Nantes. |
Il y a
vingt ans, Olivier de Boüard est devenu par mariage le propriétaire
de la Poterie. Il ouvre pour nous les portes d'un domaine mythique, dont
la construction remonte à la veille de la Révolution Française
Ici vivent les souvenirs de deux siècles d'or étroitement
liés aux fortunes successives du port : la traite négrière
et la transformation des produits tropicaux tout d'abord, la conserverie
et la finance ensuite. Les meubles élégants, les commodes de port, les tapis, les tableaux, les trophées de chasse, les souvenirs exotiques composent le décor familier d'une famille qui a noué à travers le monde entier des contacts fructueux. "On mesure l'agrément et le bonheur de vivre dans un quotidien féerique", commente sobrement Olivier de Boüard en s'inquiétant d'une craquelure qui commence de courir sur une peinture murale ou d'un pied de meuble en acajou montrant les premiers signes de faiblesse. |
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Derrière
le maître de maison démarre un escalier monumental qui donne
accès aux appartements privés. Le palier inférieur
et les salons racontent par l'objet l'histoire de la famille. Un bicycle
du XIXe reposant contre la rampe côtoie un antique jeu de grenouille
sur lequel sont négligemment posées des raquettes de ping-pong...
en peau de chèvre ! Souvenirs des divertissements d'il y a cent ou
cent cinquante ans. Au mur, un tableau représente un bateau, armé
par un membre du clan vers 1850. Des trophées de grands cervidés
soulignent l'inclination des ascendants pour la chasse et ses serviteurs
: pour entrer dans le salon, il faut passer sous le regard de marbre d'un
chien de chasse, statufié en tant que premier d'une. lignée
prestigieuse de chefs de meute. |
Entre
les tentures dorées qui masquent légèrement la vue
sur le parc, un portrait d'ancêtre surmonte un cartel du XVIIIe siècle
égrenant les heures. La pendule est posée sur une commode
nantaise en chêne datant du XVIIe, incrustée de motifs dorés.
Une table de nuit cylindrique en acajou trône au milieu de sièges,
aux pieds fins et étirés, manufacturés à Bordeaux
au XIXe siècle. Dans l'aile sud, derrière une double porte, un piano, lui aussi en acajou, donne la réplique à une cheminée de marbre noir. Au nord, dans la salle à manger où la vaisselle porte le monogramme de la famille, des portraits d'aïeux voisinent avec un tableau cher au cur des Levesque : la prise de la Marie-Jeanne le 25 août 1793, à la suite d'un affrontement en mer durant le blocus anglo-royaliste. |
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Aux premiers temps de la saga. Cette saga commence
à La Roche Bernard. C'est à partir de l'estuaire de la Vilaine
que les Levesque ont entamé la construction de l'empire familial.
Ils achetaient et vendaient du riz, des épices et du sucre, des
grumes tropicales et du bois d'ébène. Des commis partaient
jusqu'en Birmanie, d'autres tissaient des liens réguliers avec
Saint-Domingue et plusieurs îles des Caraïbes. Et surtout avec
l'Afrique.
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L'homme qui va émerger à l'occasion des temps troublés de la Révolution et de l'Empire s'appelle Louis-Hyacinthe Levesque. Il a vingt ans en 1793 lorsqu'il s'installe sur les bords de Loire. Louis-Hyacinthe est un bouillant jeune homme qui n'hésite pas à faire le coup de feu. Il a choisi son camp, celui des Républicains. Il est lieutenant de la Garde Nationale et harcèle à l'occasion les troupes royalistes. II va pouvoir donner un aperçu de son patriotisme tout en défendant les intérêts des négociants nantais dont il est un des représentants les plus en vue : il arme des navires pour tenter de desserrer le blocus qu'imposent les Anglais, soutiens des Emigrés. Lorsque, après vingt ans de guerre, la Restauration s'accompagne d'une baisse des tensions internationales, les négociants nantais n'oublient pas que Louis-Hyacinthe Levesque les a bien défendus. Il en devient le leader tout en poursuivant une carrière d'armateur. On estime à une centaine le nombre de navires qu'il aura armés dont des baleiniers qu'affrétera Thomas Dobrée. On retrouve ensuite ses bateaux au large du Chili, animant un commerce fructueux entre Valparaiso et Lima. C'est presque naturellement que, le 14 juillet 1319, il est désigné par Louis XVIII comme. maire de Nantes. L'oeuvre de Louis-Hyacinthe Levesque est toujours sinon dans les mémoires du moins dans les repères quotidiens de dizaines de milliers de Nantais. C'est lui qui, à la faveur d'une politique de grands travaux, modèle le cur historique de la cité. Il fait percer de nouvelles artères comme les rues du Calvaire, Crébillon, d'Orléans, Boileau, des Flandres. Il fait élargir les rues Kervégan et de la Verrerie. Les quais d'Aiguillon et des Tanneurs sont édifiés le long de la Loire et de l'Erdre ainsi que le pont d'Orléans, inauguré par la duchesse de Berry en 1828. Le maire de Nantes n'oubliera pas non plus d'ériger la statue de Louis XVI ... et de récupérer le reliquaire d'or du coeur d'Anne de Bretagne, enlevé en 1792 et retrouvé au cabinet des médailles de la Bibliothèque royale à Paris ! Le "règne" de Louis-Hyacinthe s'achève en 1830. Des émeutes violentes font des morts à Nantes et le conduisent à démissionner de sa charge. Il meurt 10 ans plus tard, sa descendance assurée par huit enfants dont Louis -Auguste, promis à un bel avenir et premier Levesque à s'installer à La Poterie. |
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La page de la politique
est tournée, place à la révolution industrielle. |
La
suite sera conduite au XXe siècle par les industriels Adolphe et
Louis de Clerville. Entrés par alliance dans la dynastie Levesque,
ils seront de grands "capitaines d'industrie" nantais. Dès les années 1860, la fortune est définitivement acquise et Louis-Auguste achète La Poterie. A cette époque, la grande maison apparaît loin de Nantes. On y accède à cheval ou à pied par des chemins boueux. Les bords de l'Erdre ne sont pas encore endigués. Construite sans doute sur des plans du célèbre architecte Ceineray, elle appartient au XIXe siècle à la famille Freslon de la Frelonnière, devenue Clanchy à la suite d'une alliance matrimoniale avec un clan d'Irlandais installé à Nantes depuis le début du XVIIIe siècle. La propriété fait partie de ce réseau informel d'une trentaine de grandes maisons et de châteaux, appelés "Folies", que la bourgeoisie d'affaires ligérienne a fait construire ou a acquis dans les environs de la ville. II s'agit de montrer sa réussite sociale et financière dans la pierre, dans l'ameublement et peut-être encore davantage dans la qualité de ses loisirs. . |
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Ainsi, les Levesque
vont. rapidement acquérir une solide réputation dans l'art
cynégétique. Ils font de la Poterie la capitale française
de la chasse à courre. Juste avant la guerre 1914-1918, Rogatien
Levesque, fils de Louis-Auguste, possédera l'une des plus célèbres
meutes de France et de Navarre : 200 chiens traversaient l'Erdre en bateau
pour aller poursuivre le cerf en forêt de Vioreau. |
Aujourd'hui,
sous l'impulsion d'Olivier de Boüard, agent de voyage, le domaine reste
un carrefour du monde. Dans les dépendances, édifiées
sur une antique poterie gallo-romaine qui a donné son nom à
la propriété, il a fait aménager des espaces où
des hommes d'affaires peuvent se réunir pour des séminaires.
En levant la tête, les visiteurs peuvent distinguer dans la charpente les traces des coups de faucilles portés par les journaliers après des corvées de fauchage de l'ajonc dans la propriété. Pour des réunions économiques plus confidentielles, Olivier de Boüard peut ouvrir certains salons de la grande maison. Là, les décideurs pourront apercevoir, à côté des scènes maritimes évocatrices des riches heures de la famille et de la cité, les jeux de construction que de jeunes enfants ont abandonnés après un week-end de retrouvailles pendant lequel ils ont fait résonner les vieux salons de leurs cris. La Poterie n'est pas un musée. "Nous ne voulons pas être prisonniers d'un patrimoine artistique, précise Olivier de Boüard. La Poterie est un lieu qui vit. " |
Remerciernents
à MM. Olivier de Boüard, Bertrand Levesque et Jérôme
Levesque pour leur accueil.
BRETAGNE MAGAZINE